Il est parfois demandé aux personnes qui portent plainte de montrer qu’elles vont mal, et si possible très mal, pour justifier leur plainte et pour montrer le préjudice subi. Une cliente m’a même raconté qu’une thérapeute lui avait demandé : « Êtes-vous sûre de vouloir guérir avant le procès ? ».
Comment en arrive-t-on à cela ? Comment peut-on envisager de maintenir des personnes dans leurs blessures pour leur permettre de faire entendre leur voix à un procès ? La question se pose notamment dans le cas des abus sexuels.
La compétition malsaine entre les avocats explique en partie cette réaction : l’idée n’est pas forcément de rechercher la vérité, mais de « gagner », coûte que coûte. On aboutit, le cas échéant, à une théâtralisation et à une surenchère. D’un côté la défense s’efforce de banaliser, de minimiser le préjudice subi, au besoin en décrédibilisant le/la plaignant(e), en disqualifiant sa plainte, allant jusqu’à disqualifier la personne elle-même. Les personnes sont vivantes, en bonne santé : de quoi se plaignent-elles ? Quant à l’accusation, elle peut en arriver à présenter l’accusé(e) comme un monstre au lieu de parler d’actes monstrueux, et peut parfois se sentir obligée d’en rajouter dans les préjudices subis.
Les thérapeutes se trouvent alors parfois pris dans des demandes qui sont contradictoires : d’un côté les plaignants veulent aller bien, mais de l’autre ils veulent prouver qu’ils vont mal. Car comment faire reconnaître qu’ils ont subi quelque chose s’ils s’en remettent ?
Il est normal d’empêcher que des agressions se produisent et se reproduisent, de faire respecter des règles qui garantissent l’intégrité des personnes. Mais on a le droit de porter plainte en allant très bien. On a le droit de guérir vite, et bien. Et on a aussi le droit de guérir lentement, comme on peut.
Une guérison ne se commande pas : on la souhaite, on en cherche les moyens.
Et, quoi qu’il arrive, cela ne doit pas empêcher de faire entendre la loi, de la faire respecter, et donner aux personnes ayant subi des agressions la reconnaissance du préjudice qu’elles ont subi… même si elles s’en sont relevées.