Refaire le scénario de notre enfance est proposé par de plus en plus d’approches psychothérapeutiques.
Cette idée paraîtra ahurissante à certains. Mais il n’est pas question de révisionnisme : on ne nie pas le passé, au contraire. On le voit tel qu’il est, on accepte que cela s’est passé comme cela. Et on peut d’autant mieux le faire qu’on fait différemment dans le présent. Et on peut d’autant plus faire différemment dans le présent qu’on peut s’autoriser à s’imaginer avoir vécu autre chose… c’est un cercle vertueux.
Il s’agit de sortir de l’impuissance en bougeant dans le passé.
En osant imaginer que l’on aurait pu vivre quelque chose d’autre.
Margaret Thatcher aimait à marteler There is no alternative : il n’y a pas d’autre solution. Elle essayait ainsi, comme de nombreux « puissants » (je le mets entre guillements, car il s’agit d’un certain type de puissance, pas forcément la seule) de ce monde, de cantonner ses adversaires et ses administrés dans l’impuissance. De convaincre les indécis qu’ils ne pouvaient pas choisir : ce qu’elle pensait et leur imposait de vivre, c’était la seule solution.
Or, en s’autorisant à modifier le passé, on ajoute à notre bibliothèque intérieure d’autres schémas, avec la possibilité de les mettre en oeuvre dans le présent.
Si vous n’osez pas vous autoriser à imaginer que vous auriez eu droit à du respect, de l’amour, si vous vous dites : « ça ne pouvait pas être autrement », une partie de vous ne peut bouger. Imaginer autre chose, y compris pour le passé, c’est sortir de l’impuissance passée, qui peut encore, à votre insu, être à l’oeuvre dans le présent. Bien sûr, ça s’est passé comme ça. Mais auriez-vous aimé que ça se passe autrement ? Et si oui, comment ?
Et sinon, pourquoi alors faire autrement avec vos enfants, par exemple ? Pourquoi ne pas continuer à maltraiter les autres, autour de vous ? Et à vous maltraiter vous-même ?
D’ailleurs, le sado-masochisme, c’est de ne pas pouvoir sortir de la souffrance, en pensant que la vie et l’amour sont forcément liés à de mauvais traitements.
Or, on peut tout à fait dire “ça s’est passé comme ça, je ne pourrai jamais le changer dans la réalité”, et ajouter “mais j’aurais aimé que ça se passe autrement”.
Et l’imagination n’a pas de limites : des millions de scénarios sont possibles. Que l’on peut sans cesse refaire.
Rêve ou réalité : la même trace dans la mémoire
Une raison pour laquelle il est utile, notamment en thérapie psycho-corporelle, de faire ‘bouger » le passé : le rêve ou l’imagination laissent dans la mémoire la même trace que la réalité : (1) c’est parce que cet incroyable pouvoir de l’imagination existe que nous pouvons, en transformant notre passé, guérir plus complètement notre présent.
En effet, en ajoutant un autre programme que celui qui a été effectivement vécu, nous donnons la possibilité à notre organisme de choisir, dans le même type de situation stressante, le programme optimal pour lui. Ce qu’il fera spontanément, car notre instinct d’économie d’énergie est heureusement puissant. Surtout si nous mémorisons physiquement l’effet positif de cette imagination.
Un exemple : Une femme, appelons-la Marie, parle du poids de l’entretien de sa maison, de la « paresse » de sa fille de 13 ans. « Elle ne m’aide pas, elle ne m’écoute pas ». Disputes, cris, menaces, Marie est épuisée par ce conflit continuel. Elle ressent beaucoup d’injustice à « tout faire à la maison » (elle vit seule avec sa fille). « Elle fait le dos rond et je ne peux rien en tirer ».
Une fois la situation bien décrite, Marie se concentre sur ses sensations physiques (je raccourcis le processus pour rester dans le thème de l’article) et remonte en arrière dans le temps. Elle revoit son enfance avec sa soeur, « poupée idolâtrée » et couvée par sa mère, alors qu’elle, Marie, était priée de s’occuper de toutes les tâches ménagères. Elle se détend peu à peu grâce à l’EFT (2) tout en considérant cette situation et toutes ses implications – moins d’amour pour elle, moins de temps libre, solitude et frustration continuelle. Et, comme souvent pour les enfants, personne à qui se confier, aucun adulte pour la soutenir et valider ses perceptions. Et elle refait le scénario : ce jour-là – parce qu’on peut modifier une même situation à l’infini, pour changer nos automatismes en fonction de nos besoins actuels – Marie choisit de délester l’enfant qu’elle a été de toutes les charges et de la confier à une marraine bienveillante. (Plus tard, elle choisira l’intervention de cette marraine auprès de sa mère). En visualisant sa liberté, une légèreté et une (bonne) fraîcheur envahissent son corps.
A la séance suivante, elle me dit avoir lâché l’affaire avec sa fille. Elle ne sait même plus si sa fille l’aide ou pas. Les tâches de la maison ne sont pas au coeur des ses préoccupations, mais autre chose, plus proche de son mal-être profond : ce sentiment de solitude, ancien, persistant. Sur lequel nous avons avancé ensuite peu à peu.
De la psychose ?
Certaines personnes m’ont dit avoir peur de devenir psychotiques si elles imaginent autre chose que ce qu’elles ont vécu. Or, ma pratique m’a montré le contraire : c’est justement parce qu’on s’autorise en conscience à considérer un autre scénario, qui nous ressource – et une sensation physique agréable, quelle qu’elle soit, peut nous permettre de vérifier que cela nous ressource – que nous pouvons davantage prendre la mesure de la réalité, de ce qui a réellement eu lieu ; et qui était tellement intolérable, insupportable, que nous l’avons nié pour survivre, déni parfois hélas renforcé par notre entourage (par minimisation : « oh ce n’était pas si terrible… » ou par déni complet : « mais tu racontes n’importe quoi », etc.).
Si nous pouvons percevoir que ces faits, extrêmement douloureux à l’époque où ils ont eu lieu, ont effectivement eu lieu et que nous pouvons les intégrer aujourd’hui dans notre mémoire (3) sans dommage pour notre santé physique ou psychique, cela nous permet de nous reconnecter à la réalité présente avec moins de stress. Car dans certains cas de psychoses, il a manqué un témoin pour valider ce que l’enfant a vécu et pour le rassurer. L’enfant alors perd la cohérence de ce qu’il vit : comment mes parents, que j’aime tant, dont je vois par ailleurs qu’ils se montrent responsables de ma survie, peuvent-ils me mentir / me faire du mal / me dire le contraire que ce que je perçois ? Le déni peut créer la psychose (4).
Or, si une partie de nous-même nie nos besoins, une autre partie nous les fera apparaître d’une autre manière, parfois démultipliée tant le besoin est fort et tant il est nié – d’où hallucinations, perceptions démesurées, propos en apparence incohérents. Le cerveau a besoin de cohérence : si on la lui refuse, il cherche un équilibre hors de la cohérence. Cela n’aboutit pas forcément à la psychose, mais aussi à des projections déplacées, des comportements ou des émotions incontrôlables, décalés, parfois répétitifs,
Un autre scénario en conscience et en confiance
Pouvoir imaginer autre chose en conscience, c’est déjà prendre du recul, sortir du seul modèle concevable, débloquer des ressources imaginées, pensées.
Nous faisons bouger notre cerveau en faisant bouger le passé.
Et parce que notre souffrance vient souvent de l’impuissance, du figement dans lequel nous avons vécu des situations insupportables, en bougeant, nous sortons de cette impuissance.
Ces scénarios passés à changer, nous pouvons les accompagner en EFT, en Gestalt-thérapie, ou, comme je vous l’ai dit dans l’article sur l’enfant intérieur, dans d’autres types de psychothérapie, pour sortir de l’impuissance glacée des “programmes” vécus et dans lesquels nous pouvons être bloqués.
Notre corps est une boussole
Notre corps est là aussi une boussole : si nous sentons un relâchement physique lorsque nous imaginons un autre scénario dans le passé, c’est une bonne piste. Et notre corps tout entier, mémorisant ce relâchement associé au scénario, l’intégrera plus complètement dans le panel des « programmes » qu’il peut suivre.
Mais notre conscience est importante aussi, et je note au passage que le créateur de la technique « Matrix Reimprinting »(5) se donne pour règle de ne pas tuer (des personnes) dans les scénarios que l’on crée pour le passé. Je trouve l’idée intéressante, parce que cela nous oblige – ou nous autorise – à nous transformer plus complètement (6). Cependant, il faut être vigilant et patient pour ne pas tomber dans l’angélisme et une fausse transformation, qui ne passerait que par le mental, et qui ne serait pas intégrée par notre cerveau émtionnel et notre corps, (« Je pardonne à tout prix, je suis plus fort que… » ). La rage est une émotion, en particulier, qui peut bloquer beaucoup de transformation parce qu’elle est profondément liée à l’impuissance. Il faut l’accueillir et l’accompagner jusqu’au bout, en offrant éventuellement des ressources extérieures (intervention de personnes comme des représentants de la loi, de la justice, des services sociaux, etc.).
Les cauchemars aussi peuvent être transformés
Exemple : Il y a quelques années, Laurent, à peine la quarantaine, me raconte lors d’une séance un cauchemar qu’il a fait : un homme tentait de l’assassiner. Je précise que Laurent prenait des médicaments antipsychotiques depuis plusieurs années, après une grosse crise survenue lors d’un burnout professionnel.
Chez lui, les angoisses se manifestaient souvent dans ses rêves. Nous abordons ce cauchemar comme un scénario du réel : il en décrit le déroulement et ce qui se produit en lui quand il l’évoque (sensations physiques, émotions). Nous reprenons cela en EFT. Au bout de plusieurs « rondes » de cette technique, ses tensions physiques ont bien diminué. Nous essayons de voir s’il peut envisager de modifier ce cauchemar – parfois le figement est trop fort pour y parvenir. Il l’envisage volontiers : « Je voudrais tuer cet homme », me dit-il, joyeux. Je lui propose d’essayer de trouver une autre solution pour laisser tout le monde en vie. « Le mettre hors d’état de nuire, alors ! » Il opte pour l’immobilisation de son agresseur par la police, et pour une mise en prison. Il se sent alors détendu, et souffle en s’étirant. Quelque chose se réchauffe en lui.
La suite : à la séance suivante, il raconte un autre cauchemar : un homme essaie de l’assassiner, mais cette fois-ci il a réussi à le maîtriser lui-même ! Nous refaisons de l’EFT sur ce scénario encore angoissant, et Laurent imagine cette fois-ci que cet homme est mis hors d’atteinte avant même de l’agresser. Quelques jours plus tard, il me téléphone pour me dire qu’il s’était souvenu qu’à son travail, son supérieur l’avait menacé de le « défoncer » s’il ne travaillait pas davantage – alors qu’il faisait déjà des heures supplémentaires à rallonge. Et que c’était suite à cela que sa « crise » était survenue. On voit que pour Laurent, la mémoire de cette menace réelle a pu ressurgir grâce à cette sécurité qu’il a pu se donner en imagination dans ses cauchemars.
Ouvrons les horizons passés !
Alors n’enfouissons pas nos souffrances, pour les regretter à jamais, en gardant imprimée cette idée « qu’on ne peut pas changer le passé ». Osons concevoir autre chose et ouvrir nos horizons, y compris passés.
Je vous parlerai dans un article à venir de la technique de Matrix Reimprinting, dont le slogan est : « Il n’est jamais trop tard pour se refaire une enfance heureuse ».
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(1) David Servan-Schreiber, Guérir, 2011
(2) Emotion Freedom Technique, technique créée par Gary Craig.
(3) La mémoire épisodique est une mémoire qui a été traitée par notre cortex et stockée dans notre hippocampe. Elle se différencie notamment de la mémoire de l’amygdale, qui n’encode que la perception des faits et les sensations procurées sans recul et sans élaboration de ces faits.
(4) Françoise Dolto, Solitude, 1994, 2001
(5) Karl Dawson. Matrix Reimprinting est une extension de l’EFT.
(6) Et de ne pas nous enfermer dans des axes de polarité comme « J’ai été victime, je deviens bourreau » ou : « Si je ne tue pas, je vais être tué(e) ».
Recherches utilisées pour trouver cet article, , https://psychologiepsychotherapie com/refaire-le-scnario-changer-le-pass-pour-changer-notre-prsent/, , modifier le passé, , Modifier le passer, , peut-on refaire notre passé?,