Comprendre comment l’envie de se suicider peut naître en nous, du point de vue physiologique, peut aider, dans certains cas, à sortir de ce tunnel et à retrouver le chemin de la vie.
C’est paradoxalement pour faire stopper une menace de mort que des idées de suicide peuvent apparaître.
En effet, dans une situation que nous ressentons comme pénible, notre cerveau sécrète ce qu’on appelle des hormones de stress, principalement adrénaline et cortisol, qui doivent nous permettre d’agir. A priori, ces hormones de stress ne sont pas toxiques, parce qu’elles doivent être dépensées dans l’action.
Par exemple je vois que je suis en retard pour prendre mon train : ma tension monte, de l’énergie vient à mes muscles, je cours pour attraper mon train : l’adrénaline que j’ai mobilisée m’est utile, je bondis, et mon cortisol me permet de courir suffisamment longtemps. Si la quantité d’hormones suffit pour le problème à résoudre, et si le problème ne dure pas trop longtemps, pas de conséquence nocive : ces hormones sont utilisées au fur et à mesure et s’il en reste un « surplus », lorsque le problème est résolu (si j’ai attrapé mon train… ou pas, mais dans ce dernier cas si je lâche prise), je l’élimine par un moment de détente et parfois de décharge (je tremble un peu, par exemple).
Par contre, si l’on ne parvient pas à résoudre le problème, et qu’on a mobilisé de l’énergie pour le faire, cette énergie peut rester bloquée en nous. Et si le problème dure ou se reproduit régulièrement, ces hormones continuent d’être produites par notre organisme, sans que nous puissions les utiliser. Alors notre corps « sent » qu’il est en train de s’empoisonner parce que le cortisol et l’adrénaline, à trop forte dose, et sur une trop longue période, sont toxiques. Ils se déchargent dans les muscles, débordent dans les viscères, puis dans les nerfs. Ils agressent les parties les plus vulnérables du corps, attaquent le cerveau. La 2ème solution instinctive pour ne pas s’empoisonner est alors de couper la production d’hormones de stress grâce à des hormones « court-circuit ».
L’anesthésie interne pour essayer de stopper le stress
Notre organisme a en effet une réponse « automatique » : il sécrète des drogues qui coupent le circuit des hormones de stress (cela, grâce à la partie du système nerveux qu’on appelle système parasympathique dorsal [1] , qui s’active pour freiner « tout ce qui bouge »).
On peut alors se sentir moins sensible (effet anesthésiant). Ces drogues produites par le corps sont de la kétamine et de la morphine. Or, ce sont des drogues dures, et il en faut toujours plus pour avoir le même effet (c’est à dire faire baisser la tension de la peur, de l’angoisse). L’accoutumance créée par les drogues dures fait qu’au bout d’un temps elles ne suffisent plus ; et le corps, et tout notre être ressent alors l’empoisonnement qui devient massif. C’est ainsi que, ne sachant pas comment faire cesser ces sensations horribles, portées par des pensées, des émotions, des images insupportable, on peut avoir envie de se suicider. Parce qu’on ne comprend pas, parce qu’on ne sait pas quoi faire. (Alors qu’on peut toujours faire quelque chose, voir ci-dessous). Comment faire cesser ces horribles sentiments, sensations insupportables, psychiquement et physiquement ? On peut penser qu’il n’y a pas de solution autre que de disparaître.
Ce que l’on fait parfois pour essayer de stopper cette sécrétion d’hormones de stress :
Face à ce stress qui nous envahit, on a parfois recours à des actions externes pour le compenser ou le décharger :
- sur le versant positif, on peut bouger, par exemple, pour éliminer l’adrénaline en surplus (sport, travail, danse…), se donner du plaisir de diverses manières (créativité, sexualité, contemplation, méditation…), parler avec d’autres personnes, chercher des pensées positives.
- sur le versant négatif, il arrive malheureusement aussi que l’on décharge de l’agressivité à l’extérieur, sur les autres ou sur des objets – agressivité verbale, physique, psychologique, ou que l’on prenne des drogues.
Quand même l’anesthésie ne marche plus
Mais parfois, rien n’y fait. Même les activités « positives », même les pensées qui se veulent optimistes, rassurantes, même l’agressivité contre l’extérieur peuvent fonctionner comme des addictions : on n’en a jamais assez, rien ne nous comble ou ne nous apaise vraiment. On peut obtenir un soulagement temporaire, mais il ne s’agit pas d’une paix, d’une liberté. Toujours plus ! Les « doses » (de travail, de plaisir, de décharge d’agressivité) doivent être toujours plus importantes pour faire baisser la tension et l’empoisonnement que l’on sent. Les ressources que l’on trouve à l’extérieur sont insuffisantes.
On se sent dans une impasse. Et c’est là, parfois en mode « infra-pensée », c’est-à-dire à peine conscient.e, qu’on peut alors revenir vers soi, vers ce stress intérieur, et qu’en désespoir de cause on peut avoir envie de se détruire, pour faire cesser ce qui fait mal en nous. On retourne contre soi l’envie d’agir. On s’agresse soi-même. Cela peut être des scarifications (on se griffe et coupe la peau), des automutilations, ou des conduites à risque ; sur le plan verbal, des propos d’autodérision ou d’autocritique qui deviennent progressivement violents. On peut, ultimement, en arriver au suicide.
« C’est plus fort que moi », ou « je n’y arrive pas » : si vous pensez ou sentez cela, c’est que quelque chose dans votre système nerveux vous dépasse.
D’autres solutions que le suicide
Or, on peut sortir d’une impasse. Avec l’aide des autres. Il faut chercher la ou les personnes qui nous conviendront, qui pourront nous aider. Ne pas s’arrêter à la première personne, si elle ne convient pas, ni à la deuxième si elle ne convient pas non plus, continuer à chercher. Toujours garder l’idée que nous sommes des milliards sur Terre… il y a donc forcément des personnes qui peuvent nous comprendre, nous aider. On peut aussi voir plusieurs personnes différentes en même temps si l’on est en crise (psychologue ou psychopraticien, psychiatre, médecin, kiné, ami.e.s, travailleurs sociaux …), pour ne pas se retrouver dépendant.e d’une seule personne. On peut chercher en parallèle du soutien sur différents plans : physique (soins de santé), et psychique (accompagnement psy), relationnel (élargir son réseau d’amis, de connaissances, de personnes proches et lointaines), social (aide matérielle).
Le soin psychologique est évidemment très important quand on a des idées de suicide.
Si l’on sait ce qui se passe dans notre corps, notre organisme, on peut mieux comprendre, se comprendre, et se dire une chose : toujours : ce stress m’empoisonne, or je mérite de vivre dans la santé. Je mérite d’être accueilli.e tel.le que je suis, et j’ai besoin d’aide. Ce qui se passe en moi est compliqué, me dépasse, me fait trop mal. Quelqu’un peut m’aider à défaire la pelote, je ne suis pas seul.e, d’autres ont éprouvé ce que j’éprouve, je ne suis pas mauvais.e, c’est la situation qui ne va pas, qui ne me convient pas ou ne me convient plus, et il faut que je parvienne à démêler ce qui se passe en moi et avec l’extérieur, pour retrouver la paix.
- Si je me sens coupable : on peut m’aider à voir si je suis vraiment coupable, et le cas échéant à réparer ;
- si je me sens honteuse ou honteux, on peut m’aider à retrouver un regard bienveillant sur moi ;
- si je me sens rejeté.e, je peux trouver de l’aide pour me sentir intégré à nouveau dans le respect,
- si je me sens menacé je peux trouver une protection ;
- si je me sens menaçant.e on peut m’aider à dénouer ces mécanismes d’agression en moi.
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[1] Voir la théorie polyvagale de Porges.
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