Les hommes qui s’engagent dans une psychothérapie restent une minorité. Plusieurs éléments jouent dans leur hésitation ou leur refus, même s’ils en ressentent de plus en plus le besoin.
Simplement parler
Beaucoup d’hommes parlent tellement peu entre eux ou avec leurs proches que pour certains, le simple fait de pouvoir “parler” à un tiers est énorme.
Alors parfois c’est une maîtresse qui fait l’affaire : une personne avec qui aucun engagement véritable n’est nécessaire, et où la confrontation, du coup, avec certains de ses véritables désirs et besoins ne se fait jamais. Les blessures “d’origine” sont souvent évitées.
Parfois aussi, ce sont les thérapeutes. Le problème, c’est que si simplement parler permet de soulager le trop-plein de ce qu’on ne parvient pas à dire ailleurs, on ne cherche pas toujours à améliorer vraiment les relations avec ceux qui nous entourent dans le reste de notre vie, puisqu’il s’agit seulement de se “décharger” superficiellement pour supporter les situations.
Je dois dire que pour des jeunes hommes (et des jeunes femmes), “simplement parler” est à l’inverse très fructueux, car eux sont encore très proches de leurs parents, et ne peuvent “faire comme si” : comme s’ils étaient déjà libérés de leurs parents, en quelque sorte. Ils parlent donc plus facilement de leur enfance, qui est un passé tout récent pour eux. Alors, un monde s’ouvre : pouvoir parler de leur intimité psychologique, physique, intellectuelle sans être jugés. Aborder leurs craintes, leurs gênes, leurs hontes. Ils découvrent que c’est possible, qu’on n’en meurt pas, et que cela fait même du bien. Dire leurs émotions – stress, colère, tristesse, joie, tendresse, vis-à-vis de leur famille d’origine est plus simple, parce que ce n’est pas encore entaché de la soi-disant nécessité d’indépendance et de “détachement”.
Les hommes plus âgés ont tendance à penser : “Mais enfin, on doit surmonter ce qui s’est passé avec nos parents, non ? C’est du passé, tout ça ! Il faut avancer, pardonner, tourner la page !”. Moyennant quoi ils revivent ces sentiments non réglés avec leurs employeurs, leurs voisins, leurs amis, voire leur femme ou même… leurs enfants.
Les hommes (les cadres, qui ont les moyens) préfèrent les coachs
Pourquoi préférer les coachs ? Parce que si on ose s’occuper de soi, quand on est du sexe masculin, il faut que ce soit d’abord pour l’efficacité.
Or les coachs, c’est orienté “action”. On ne perd pas le contrôle, on ne se confronte pas trop en profondeur à son stress. J’agis, donc je ne suis pas dans l’impuissance – impuissance qui peut effectivement être une planche savonnée vers le traumatisme. Or, s’il est parfois effectivement utile d’agir, à force de trop éviter ses émotions, on finit par perdre le contact avec une partie de soi, donc de ses besoins…
Les hommes veulent être efficaces, et il faut que ce soit du sérieux : avec les coachs, on a l’idée qu’il n’y aura pas de “chichis”, pas d’expression de sentiments qui pourrait s’apparenter à ce qui pourrait être considéré comme de l’apitoiement, du “pleurnichage”.
Et comme le coaching c’est sérieux, en tant qu’homme je peux oser en parler avec mes collègues – notamment les collègues hommes. Un coach, c’est chic et choc, le costume ou le tailleur, c’est à dire que ça colle avec l’entreprise, où les codes vestimentaires sont précis : pas de hippies, s’il vous plaît. On ne rêve pas, on travaille. Et ce n’est pas de l’artisanat, c’est de l’entreprise.
Et en plus un coach, ça se paye un certain prix : ça aussi, c’est une valeur reconnue dans le monde des hommes, et dans le monde de l’entreprise.
Comme me le faisait remarquer un jeune homme avec humour, en plus, aller voir un coach n’amène pas le “soupçon” d’avoir “un pète au casque”, comprenez d’être malade, d’avoir un problème. Non, un coach, c’est fait pour vous renforcer, quand tout va bien pour vous. Je n’ai pas de défaut de fabrication, j’ai juste besoin d’idées, d’être encore plus fort.
Pardon pour les coach(e)s – dont certain(e)s m’ont bien aidée – c’est très caricatural, je sais. Mais c’est quand même très vrai.
Je ne suis plus un enfant, je suis un homme…
Si cette attitude « d’action » est salutaire dans beaucoup de situations où le pragmatisme et le professionnalisme des coachs est irremplaçable (orientation “solution”), elle en vient parfois à masquer les enjeux profonds d’une relation. Dehors les questions sur ce qui me pèse profondément dans ma relation avec ma compagne, mes enfants, avec mon patron, avec mes collègues ou mes employés ou mes amis… dehors l’observation de ce qui me blesse, parce que se sentir blessé, c’est être faible. J’analyse mentalement et j’agis, donc je suis fort.
Et souvent, dehors les relations avec les parents. Pourquoi ? Parce qu’il faut être grand ! Se référer à ses parents en se représentant comme un enfant, c’est se représenter faible, vulnérable, alors que l’homme se doit d’être fort – et de n’être que fort. Alors les hommes ont l’idée qu’il faut dépasser ce stade de l’enfant. Donc ne pas demander de l’aide pour ses blessures psychologiques, qui sont trop intimes.
On va me faire la morale
Un autre obstacle est aussi ce que l’on projette sur les psys : l’image d’une personne qui va vous faire la morale, vous faire des reproches. Il faut dire que pendant des années, certains psys ont fonctionné avec ce modèle de culpabilisation, en phase avec le modèle social moral et d’éducation dominant.
Cela arrive hélas encore, les thérapeutes ont parfois des moments de relâchement et leurs propres zones non guéries, qui transparaissent malheureusement au détour d’une phrase ou d’un ton mal approprié – je me compte parmi eux/ elles.
Mais a priori, le travail thérapeutique ne consiste pas à faire la leçon et culpabiliser les personnes qui consultent, mais à explorer ensemble ce qui se passe en eux et avec leur entourage, et à chercher les moyens de trouver un équilibre sain.
Au bord du gouffre : j’y vais
Alors qu’est-ce qui décide ceux qui, au départ récalcitrants, sautent le pas ?
Plusieurs facteurs. C’est parfois leur femme / compagne / compagnon qui les envoie (ou leurs enfants, désespérés), et l’enjeu est de taille – “si tu ne te fais pas aider, c’est fini entre nous”. (1)
D’autres fois, ce sont eux qui décident sans y être poussés : ils sont tellement au bord du gouffre et parfois même bien dedans, que cela leur apparaît comme l’une des dernières solutions. Souvent après une rupture sentimentale, ou dans une situation de travail intenable.
Ils viennent malheureusement peu pour aider leurs enfants, comme le font les femmes, mais cela arrive.
Des conseils de certains médecins peuvent les décider, quand des symptômes somatiques deviennent trop handicapants.
Peu à peu, l’idée de demander de l’aide et d’entreprendre une psychothérapie gagne du terrain chez les hommes.
(1) https://www.psychologytoday.com/articles/200407/therapy-mans-last-stand
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