Etre les meilleurs à la récréation … la même logique qu’en classe ?
Dans les collèges, les lycées, des adolescents que je reçois me racontent que si l’on n’est pas « populaire », la vie est difficile.
Il faut être dans la bonne case, faire comme les autres ou être rejeté.
La vie relationnelle s’apparente donc, pour beaucoup, à la cotation en Bourse. Votre cote est bonne, ou non, et selon que vous vous rapprochez des valeurs qui, dans un mouvement parfois imprévisible, sont sur le dessus du panier, vous avez davantage un droit d’existence sociale, ou en tous cas une reconnaissance et une intégration au groupe. Selon leur type de sensibilité, leur construction psychologique, selon le hasard des rencontres aussi, les enfants et les adolescents tentent de s’adapter comme ils peuvent à ces conditions. Ils s’accrochent par exemple au train, ou bien restent en dehors, découragés de devoir lutter pour être intégrés.
Bien sûr ceux qui se sentent mis de côté ont, parfois, je le constate dans ma pratique clinique, également une difficulté à trouver leur (bonne) place au sein de leur famillle. Mais est-ce là toute la dimension du problème ?
Paumés ou populaires
Une jeune fille me disait : au collège, il y avait d’un côté les « paumés », de l’autre les « populaires ». Ceux qu’elle appelait les ‘paumés » étaient par exemple ceux qui aimaient grimper aux arbres et s’amuser. Elle les appréciait même si elle ne se situait d’ailleurs ni dans une catégorie, ni dans l’autre.
Dans ce jeu, il faut « être plus (+) » ; plus que les autres, cela va de soi. Que veut dire « populaire » exactement ? Ce mot signifiait « du peuple » il y a des années – un quartier populaire, c’était un quartier où vivaient des gens plus pauvres que les bourgeois, souvent des ouvriers. Maintenant la signification est celle de « popular », emprunté à l’anglais : quelqu’un de populaire, c’est quelqu’un qui plaît. Et comme je le disais plus haut, cela peut fonctionner comme la cotation à la Bourse, ou bien comme les paris (avant que les chevaux n’arrivent…) : plus il y a de personnes qui parient sur vous, plus d’autres vont le faire aussi. Les moutons suivent … le mouvement qu’ils croient percevoir. Quelqu’un est considéré comme populaire : alors on a intérêt à l’aimer, pour être aussi accepté, même si c’est d’abord en tant que « fan ».
Enfants et adolescents sont en mûrissement, pourrait-on dire. Alors les aide-t-on à mûrir leurs relations ? Quel contexte leur offre l’Ecole ? Malheureusement, c’est souvent aussi un contexte de compétition. Un contexte où il faut plaire… par les bonnes notes.
Les rois, les reines, et maintenant les stars, déjà dans la cour d’école
L’organisation de la société joue aussi un rôle dans cette ambiance. Autrefois on avait les rois, les reines, ceux qui étaient plus, qui avaient droit à plus – par droit divin, par conquête… Maintenant, nous avons les stars. Beaucoup de personnes passent du temps à les regarder vivre. Les côtoyer est un privilège. Devenir comme eux, un rêve. Il y a même des émissions où ils se retrouvent et parlent d’eux entre eux, se disent toute leur émotion, leur grande amitié, leur amour… et comme à la Cour le peuple observe ces gens vivre, qui admiratifs, qui envieux, qui simplement scotchés au petit écran.
Les enfants peuvent vite faire écho à ce système dans la cour de l’école. S’ils ont vécu des abandons douloureux, s’ils ne sont pas assez nourris du regard de leurs parents, ces derniers étant trop occupés, démunis ou blessés, aux prises avec des conflits difficiles ; s’ils n’ont pas reçu assez de confiance pour se choisir de bons amis, ils se retrouvent face à ces cases : « populaires » ou, par exemple, « paumés ».
Pour les enfants, la façon dont les adultes se comportent à la maison, à l’école, partout, a une grande importance. Ce qu’ils montrent, les messages qu’ils envoient par leur comportement, par les relations qu’ils ont eux-mêmes avec les autres adultes, influencent les enfants. Si ce sont des rapports de force, s’ils sont dans la critique, les enfants reprendront des éléments de ce modèle, ils s’en protègeront et/ou s’en inspireront.
Et si l’on réfléchissait avec les enfants à ce que peut être l’amitié ? Ou la « camaraderie » – comme on disait autrefois, où les relations dans la cour d’école n’étaient pas d’ailleurs toujours forcément plus géniales. Que sommes-nous en droit d’attendre des camarades d’école ? Des amis ? Comment être un bon ami, et qu’est-ce qui pourrait m’en empêcher ? Je dis bien réfléchir « avec » les enfants : beaucoup de parents sont surpris, lorsqu’ils prennent le temps d’échanger avec leurs enfants, de découvrir en eux des puits de sagesse.
Et vous ? Que pensez-vous de cette cour des « populaires » et des autres ?