Les conséquences de l’abandon sont parmi les plus difficiles à soigner – mais ce n’est pas une tâche impossible.
Pourquoi est-ce difficile ? Parce que la plupart du temps, l’abandon est invisible, par définition. La personne n’est pas là : si l’enfant survit, il se construit tant bien que mal, et ce qui lui fait mal n’est pas dans son champ de perception. Il ne l’est qu’en creux.
Même lorsque l’adulte est là sans être là, quand il est là physiquement, mais que son âme n’est pas là : il est difficile de se rendre compte de comment ce serait si son âme était présente. Les personnes qui parviennent à l’imaginer sont celles qui l’ont quand même vécu un tant soit peu.
C’est un manque, un trou noir parfois, quelque chose de transparent qui parfois ne vient plus à l’idée, a priori. Les personnes, devenues adultes, se disent qu’elles l’ont surmonté, et c’est en partie vrai, puisqu’elles sont vivantes. Mais dans certaines situations des symptômes les rattrapent, parfois impitoyablement. Perdre les personnes qui nous ont donné la vie, qui nous permettent de nous déployer dans cette vie donnée ; perdre la chaleur et le réconfort qui nous soutiennent dans notre élan de la découverte du monde : c’est le big bang à l’envers, une implosion, pour certaines personnes. Un long dépérissement, pour d’autres. Cette perte n’est quelquefois que temporaire, mais l’enfant en garde la mémoire, parfois non consciente, à vie, et plus il est jeune, plus il en souffre.
Comment appréhender ce qu’on ne voit pas, ceux qu’on ne voit pas ? En thérapie psycho-corporelle, je m’appuie sur les sensations corporelles que la personne perçoit en elle, y compris l’absence de sensations, cette fameuse déconnexion qui signe ce qu’on appelle la dissociation, ou bien ‘se couper de ses émotions”. Je sollicite aussi les images, celles de leur mémoire s’il y en a (“je me vois dans la cour de ma maison d’alors, je suis seul(e)” ou : “je vois mon père, ma mère n’est pas là”, “je me vois dans le salon au milieu de plein de gens, mais je suis tout(e) petit(e), et je me sens loin d’eux”, etc.) ou celles métaphoriques, dont la personne est consciente (“je me vois seul(e) au milieu du cosmos / du désert”, etc.).
Pourquoi utiliser les sensations corporelles et les images ? Parce que pour faire court, le cerveau reptilien est notamment en lien avec ces perceptions-là. Et parce que c’est notre cerveau reptilien qui, n’étant pas “à jour” de notre situation d’adulte (apte, lui, à survivre sans notre mère, et à aller chercher de l’aide), qui continue à nous envoyer des signaux d’alerte de mort possible. Qu’il s’agisse des techniques utilisées en Gestalt-thérapie, de la conscience corporelle, de l’EFT ou autres : nous accompagnons ce qui est là, à l’évocation de cette absence.
Une sensation de vide dans le corps, dans les pensées
Dans les sensations corporelles que les patients observent en eux quand ils évoquent l’abandon dans mes consultations, le vide revient souvent, avec un sentiment de déconnexion de leur corps (impossible de décrire ce qui se passe dans leur corps, ni en agréable ni en désagréable). Apparaissent aussi, entre autres, la perte d’énergie, le manque de tonicité, la difficulté à respirer. Mais parfois aussi des tensions, de l’agitation.
C’est le vide qui donne lieu à toutes les stratégies de compensation de notre cerveau reptilien : addictions – qui peuvent être de tous ordres – pour stimuler les zones cérébrales de récompense qui, normalement, sont comblées par des échanges humains agréables. Accumulation, consommation, désir jamais assouvi de posséder, de remplir, hypersexualité, besoin d’attention permanent… Mais aussi à l’inverse, pour certains, évitement de toutes les situations d’échange humains, avec éventuellement une hyperactivité qui permet de combler le vide pourtant ressenti.
A suivre : 2. L’abandon, les symptômes