A l’âge adulte, normalement1, on est capable de discerner les émotions qui nous traversent, de les contenir tranquillement et de les exprimer calmement…
On peut les exprimer avec respect pour soi-même et pour les autres.
Cette description, pour certains, c’est la réalité (dans une grande mesure), et pour d’autres c’est (encore) un tableau de rêve. Mais tout le monde peut y parvenir, même si c’est un “travail d’une vie”, comme dirait Thierry Janssen. Accueillir les stimulations du monde extérieur de façon sereine et dire ce que l’on ressent de la manière la plus recevable possible pour les autres n’est pas toujours facile, selon les rencontres que l’on fait et les situations où l’on se trouve. D’autre part, certaines émotions sont tellement fortes, ou inconnues – car notre vie change régulièrement – qu’il faut du temps, de l’aide, pour pouvoir les recevoir en soi.
D’après les recherches citées par Catherine Gueguen, la maturité du cerveau émotionnel qui permettrait ce comportement d’équilibre émotionnel ne serait atteinte que vers l’âge de 25 ans.
Or, certaines expériences vécues par les enfants rendent difficile l’épanouissement de ces capacités ou les bloquent carrément. La façon dont ils ont été élevés peut être un frein important, en plus d’évènements extérieurs tels que les catastrophes naturelles, les guerres, les maladies. Mais nous avons la possibilité d’agir sur les conséquences en nous de notre éducation et des évènements stressants que nous avons traversés.
L’influence de notre milieu d’enfance
Dans notre enfance, il y a toujours deux aspects qui nous influencent : les modèles que nous avons sous les yeux, et ce que nous vivons nous-même : ce que nous sommes obligés de faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire, de subir.
Pour le modèle, en ce qui concerne le fait de “gérer” ses émotions, si les parents éprouvent des difficultés à contenir leurs émotions – par exemple ils pleurent ou s’enragent sans pouvoir se contrôler, sans s’excuser, sans chercher à améliorer leurs capacités – les enfants auront ce modèle que les émotions ne se contiennent pas, qu’elles s’échappent forcément, qu’elles peuvent détruire autour de nous, par les paroles ou les comportements qui les accompagnent : atmosphère électrique par les cris, ou plombée par la colère sourde ou un chagrin continu, ou absence de protection (par les parents dépressifs par exemple).
Pour ce qui est des situations, on peut par exemple minimiser les sentiments des enfants – “allons, n’en fais pas une montagne”, “tu n’as pas honte de pleurer pour ça ?”, “il/elle pleure pour ça ?”, “oh tu n’as pas le sens de l’humour”, “avec tout ce que je fais pour toi, tu es en colère ?”, » tu n’es pas rancunière, hein? » , « ça va lui passer“, etc. Dans ce cas, les enfants retiennent qu’on ne doit pas ressentir ce que l’on ressent, et tentent d’étouffer ce qui est en eux. Beaucoup d’énergie est dépensée à tenter de résoudre ce conflit intérieur : je ressens quelque chose, on me dit que c’est mal de le ressentir, qu’est-ce que je peux bien en faire ?
Ou bien ils comprennent que s’ils expriment quelque chose de leur sensibilité, s’ils s’ouvrent, ils peuvent être attaqués dans la vulnérabilité qu’ils montrent : il faut alors se protéger en ne montrant plus rien, ou en attaquant aussi, en retour.
Comme les enfants, les adultes en thérapie
Dans un processus “optimal”, les enfants mûrissent peu à peu dans leurs émotions : dès leur naissance et même in utero les parents les apaisent, leur témoignent de l’attention, de l’affection, de l’intérêt, les aident à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, les rassurent dans leurs peurs et les soutiennent dans la résolution de leurs problèmes.
De la même manière, les adultes en thérapie peuvent accueillir leurs émotions, apprendre à ne plus en avoir peur, à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent au sens complet de ce terme – à la fois physiquement, émotionnellement et intellectuellement. Car ces trois aspects, quand il n’y a pas de dissociation, sont “alignés”, ou encore “harmonisés” (j’aime moins ce mot). Délestés de la nécessité de réprimer ces “mouvements” en eux, ils ont davantage d’énergie disponible : énergie qu’ils peuvent consacrer à accueillir les multiples éléments, dans ces émotions, qui peuvent guider leurs décisions.
Nos émotions nous permettent de nous orienter, en effet, dans notre vie : elles nous informent sur ce qui nous convient ou non, et nous permettent de décider de renouveler telle ou telle expérience, ou au contraire de ne plus la vivre. Par exemple, je n’ai pas aimé telle ou telle rencontre : je vais faire en sorte que cela ne se renouvelle pas, soit en ne rencontrant plus la personne concernée, soit en lui faisant part de mes besoins pour que la rencontre se passe différemment. En prenant conscience de nos sentiments, dans toute leur complexité et pas seulement à leur surface, si nous savons les transformer, nous pouvons prendre des décisions ajustées.
Trop d’émotions n’est pas bon ; la médecine chinoise le souligne : trop de peur, de tristesse, de colère ou même de joie épuisent le corps. Notre organisme doit faire face à une production continue d’hormones diverses censées nous préparer à des changements permanents, et cela pompe nos réserves d’énergie. Nous pouvons donc agir à l’extérieur comme à l’intérieur : sur notre environnement et sur notre équilibre intérieur, pour réguler ces émotions, pour que nous puissions les accueillir plus facilement.
Agir sur notre environnement peut consister à supprimer ou réduire les sources de stress : hygiène de vie alimentaire, activité physique, accroissement du réseau relationnel pour sortir de l’isolement, changement de lieu, protection contre les agressions (humaines ou issues de l’activité humaine comme la pollution…), appel à l’aide concrète de certaines personnes, etc.
Pour agir sur notre équilibre intérieur, dénouer les mémoires douloureuses est un pivot. Certaines méthodes psycho-corporelles (par exemple la Somatic Experiencing) s’appuient sur la physiologie du corps et notamment du système nerveux pour relâcher les tensions qui nous emmènent dans des impasses émotionnelles et relationnelles. Si par exemple une personne ne parvient pas à s’exprimer avec une certaine catégorie de personnes et ressent systématiquement du stress, on peut aller explorer quelles empreintes ont été laissées par certaines expériences vécues dans le passé, dénouer les mécanismes bloqués pour permettre à la personne de dire ce qu’elle a besoin de dire en sécurité.
Cela permet de vivre des situations présentes avec une perception plus large ; ces situations sont actualisées et ne sont plus chargées d’émotions passées, qui ne correspondent plus à ce que nous vivons.
Nous recherchons la paix
Ce que nous recherchons tous, au fond, c’est la paix : la paix, ce n’est pas l’ennui ; ni le vide. C’est un espace immense, qui nous permet d’accueillir le plus sereinement possible tout ce qui nous arrive, et d’oeuvrer pour notre bien-être et pour celui des autres, pour recréer les conditions qui nous permettent de trouver de la joie, de la confiance, de la plénitude partagées.
1 Catherine Gueguen, Pour une enfance heureuse, Mars 2015, Poche.
Susan
Très intéressant, comme toujours, mais ton traitement du thème « que faire de ses émotions » est vraiment excellent et éclairant, grand merci